Dans le foisonnement des jeux de stratégie, rares sont ceux qui osent s’éloigner des sentiers battus de la seconde guerre mondiale.
Avec SGS Imjin War, la série SGS, développée par Strategy Game Studio et éditée par Avalon Digital, s’aventure brillamment sur un théâtre peu exploré : la Corée de la fin du XVIe siècle, déchirée par les invasions japonaises de 1592 à 1598.
Ce choix audacieux offre un souffle d’exotisme et de fraîcheur, tout en respectant les codes du wargame classique, avec une profondeur stratégique et une rigueur historique qui devraient satisfaire les amateurs les plus exigeants.
Si tout comme moi vous aimez le Japon médiéval, la cérémonie du thé, les cerisiers en fleurs et les campagnes stratégiques jouées au long cours, suivez moi en Corée, à la découverte de ce jeu fort bien réussi.
Siege de Pusan (1592) par les forces japonaises
La guerre d'Imjin désigne une série d’invasions menées par le Japon contre le royaume de Joseon (Corée) entre 1592 et 1598.
À cette époque, le Japon est récemment unifié sous l’autorité du puissant seigneur de guerre Toyotomi Hideyoshi, qui cherche à canaliser l’énergie de ses armées vers l’extérieur pour asseoir son prestige et renforcer son contrôle intérieur.
Son objectif ambitieux : conquérir la Chine des Ming en passant par la péninsule coréenne, qu’il considère comme un simple corridor logistique.
Le royaume de Joseon, fidèle vassal de la dynastie Ming, refuse de laisser passer les troupes japonaises.
Ce refus précipite l'invasion de 1592. Les armées japonaises, bien entraînées et dotées d’armes à feu modernes (arquebuses), déferlent rapidement sur le territoire coréen, capturant Séoul puis Pyongyang en quelques semaines.
Pris de court, les Coréens résistent tant bien que mal, tandis que la Chine décide d'intervenir pour soutenir son allié et contenir la menace japonaise.
Le conflit s’enlise.
Malgré leurs succès initiaux, les Japonais peinent à consolider leurs gains. La guérilla coréenne harcèle leurs lignes de communication, l’amiral Yi Sun-sin détruit leur flotte et coupe leur ravitaillement maritime.
À partir de 1593, les Ming lancent plusieurs contre-offensives, et les combats s’intensifient jusqu’à l’épuisement des deux camps. Une seconde invasion en 1597 échoue également. À la mort de Hideyoshi en 1598, les Japonais évacuent définitivement la Corée.
Les enjeux de cette guerre sont multiples : expansion impériale pour le Japon, préservation de la souveraineté pour la Corée, maintien de l’ordre régional pour la Chine.
La guerre d'Imjin marque une étape décisive dans les rapports de force en Asie de l’Est.
Elle souligne l’importance du contrôle naval, la résilience d’une population face à l’occupation, et la fragilité des empires fondés sur l’ambition personnelle. Ce conflit méconnu, aux conséquences durables, a laissé une empreinte profonde dans la mémoire collective coréenne et japonaise.
La carte du jeu
Sur le plan mécanique, SGS Imjin War repose sur le moteur éprouvé de la série SGS : une carte divisée en régions, des unités représentées par des pions avec statistiques détaillées, des points d'action à dépenser, des événements historiques jouables sous forme de cartes.
Mais loin de se contenter d’un simple habillage asiatique, le titre propose des ajustements qui traduisent la spécificité du conflit.
L’armée japonaise est mobile, agressive, mais dépend fortement de ses lignes de ravitaillement maritimes.
La coalition sino-coréenne, en revanche, souffre d’une certaine dispersion et lenteur au début, mais peut compter sur des renforts massifs à mesure que la guerre s’éternise.
Ce déséquilibre initial, assumé, crée un vrai défi asymétrique, chaque camp devant tirer parti de ses avantages structurels pour espérer l’emporter.
Le scénario de la Grande Campagne s’étend sur 105 tours, chacun représentant une semaine entre juin 1592 et avril 1594.
Le jeu propose également des scénarios plus courts, centrés sur différentes phases de la campagne de 1592-1593, ainsi qu’un scénario distinct consacré à la seconde invasion japonaise de 1598.
L’un des joueurs incarne les armées de samouraïs du seigneur japonais Hideyoshi, tandis que l’autre prend le commandement des forces alliées, regroupant les Coréens du royaume de Joseon et les troupes chinoises de la dynastie Ming.
En fonction des événements et des cartes jouées, chacun des deux camps peut également obtenir le soutien des tribus mandchoues Jurchen et prendre le contrôle de leurs unités terrestres.
Dans SGS Imjin War, les Japonais disposent au début de la campagne d’une force terrestre considérable, bien entraînée et très mobile. Leur marine, en revanche, bien que numériquement importante, souffre d’un commandement inefficace et d’un manque de coordination, ce qui en fait une faiblesse structurelle. Leur objectif est clair : traverser la péninsule coréenne pour atteindre et conquérir la Chine des Ming.
Le joueur coréen, quant à lui, doit faire face à une invasion massive avec des moyens initiaux limités. Il s’agit d’organiser une défense désespérée, ralentir l’ennemi, mobiliser les soulèvements locaux et tenir jusqu’à l’arrivée des renforts chinois.
Mais surtout, la puissance navale coréenne, symbolisée par les célèbres navires-tortues de l’amiral Yi Sun-sin, peut inverser le cours de la guerre en coupant les lignes de ravitaillement japonaises.
Le contrôle des grandes villes et le maintien des routes logistiques seront les clés de la victoire. Sans approvisionnements, les forces d’occupation s’épuisent rapidement ; sans villes, impossible d’asseoir une domination durable.
La carte du jeu couvre l’ensemble de la péninsule coréenne, structurée autour de ses sept provinces historiques les plus importantes. Des zones hors carte permettent de simuler les interactions avec la Mandchourie, la Chine intérieure et le Japon, ainsi que de vastes espaces maritimes essentiels pour le commerce et les déplacements.
Les deux camps peuvent mobiliser des milliers de soldats, nombre de navires de guerre, des unités irrégulières, rebelles et pillards. Le système de jeu intègre de nombreuse cartes d'événements, couvrant tous les aspects du conflit : météo, économie, diplomatie, loyautés locales, opérations militaires et sièges prolongés.
Les combats se déroulent dans des rounds tactiques qui reflètent les spécificités du conflit : abordages, tirs de bordée en mer, escarmouches de cavalerie légère, harcèlement des guérillas, salves d’arquebuses, canonnades, et affrontements au corps à corps menés par les samouraïs.
L’échelle de jeu est pensée pour l’opérationnel : les unités terrestres représentent des régiments ou équivalents, les flottilles navales sont regroupées par escadres de 1 à 6 navires. Chaque tour de jeu correspond à une semaine, et chaque région couvre environ 40 km².
Les conditions de victoire sont asymétriques : les Japonais doivent conquérir l’ensemble de la Corée et progresser jusqu’aux provinces chinoises du Liaoning et du Zhili. Les forces sino-coréennes l’emportent si elles parviennent à expulser complètement les Japonais de la péninsule. Si aucun camp n’atteint ces objectifs, la victoire est déterminée par le nombre de points accumulés au fil de la campagne.
Grâce à son système d’événements dynamiques, Imjin War offre une grande rejouabilité. Chaque partie peut prendre une tournure différente selon les aléas politiques, économiques, militaires ou diplomatiques.
Des revenus sont collectés à chaque tour, mais les dépenses, qu’il s’agisse d’acheter des unités, des cartes ou de remplacer des pertes, ne peuvent être effectuées que tous les quatre tours, soit une fois par mois en jeu.
Les principales sources de revenus sont les villes, dont la valeur est indiquée sur la carte.
Certaines régions clés apportent également des fonds, notamment celles qui produisent du riz, les zones minières ou les centres de construction navale. D’autres revenus proviennent d’unités spécifiques, comme les collecteurs d’impôts ou les châteaux, ainsi que des zones de commerce maritime.
Les cartes et les événements peuvent aussi générer des revenus ponctuels, comme par exemple les cartes "Impôts".
Le coût des unités dépend de leur taille et de leur équipement. Les remplacements ont un cout modique, mais certaines unités d’élite coutent logiquement assez cher, elles demandent plus de ressources pour être rééquipées. Les cartes ont un coût fixe.
Enfin, certaines unités spéciales ne peuvent entrer en jeu que par le biais d’événements ou de cartes, et ne sont donc pas accessibles à l’achat direct.
Le joueur japonais a donc tout intérêt à sécuriser ses lignes de communication, les villes capturées, et le joueur coréen à jouer à la petite guerre afin de limiter les ressources économiques et l'approvisionnement des armées d'invasion, l'attrition , la météo sont les meilleurs alliés de la Corée après l’empereur de Chine.
Dans SGS Imjin War, l'immersion visuelle n'est pas un simple habillage mais une composante à part entière de l'expérience de jeu.
Chaque unité, chaque carte événement et chaque leader est illustré avec un souci du détail qui capte immédiatement l’attention du joueur.
L’image de Sagara Yorifusa, chef japonais figurant parmi les nombreux commandants du jeu, en est une parfaite illustration.
Le portrait de ce noble samouraï, casque kabuto orné, visage marqué par l'expérience du combat, reflète une volonté de fidélité historique autant que de personnalité.
On ne se contente pas d’une icône générique : chaque personnage possède son style, ses attributs visuels distinctifs et une aura propre. Cela renforce l’attachement du joueur à ses unités et donne du relief à la campagne.
Si vous aimez les symboles OTAN, il est possible de les utiliser en lieu et place de ces belles illustrations.
Les silhouettes des pions sont jolies, les informations sont claires, on s'y retrouve
Une carte dense, un outil de navigation indispensable
La carte de jeu constitue le cœur de l'expérience stratégique.
Elle représente en détail la péninsule coréenne, ses reliefs, ses régions, ses villes fortifiées et ses zones côtières. Mais cette richesse visuelle et topographique peut vite se transformer en labyrinthe stratégique sans les bons outils de navigation.
Sans cette aide visuelle, même un fin connaisseur de la géographie coréenne se verrait contraint à de longues recherches manuelles, particulièrement lors de l’activation de cartes événement ciblant des localités précises.
Car oui, nombre d’effets du jeu s’appliquent à des provinces, des forteresses ou des villes bien identifiées, et il est crucial de pouvoir les localiser instantanément, surtout dans les moments tendus d'une phase opérationnelle.
L’outil de navigation intégré que vous trouverez à gauche, ne se contente pas d’être pratique : il est essentiel pour ne pas perdre le fil de la campagne.
Une vidéo qui permet de s’imprégner du coup de patte graphique, on est proche du boardgame, à la frontière du wargaming et du jeu de plateau.
Le système de résolution des combats dans SGS Imjin War repose sur les fondations communes à la série SGS, en y ajoutant des mécaniques spécifiques adaptées au contexte militaire du conflit. Il s'agit d'une résolution en phases successives, simple à prendre en main mêlant, capacités des unités et effets de cartes, seul bémol, on peut avoir le sentiment de se retrouver en situation de spectateur, une fois la résolution de la bataille lancée, hormis la possibilité de jouer ses cartes tactiques ou de retraiter, on perd la main.
L'échelle du jeu est résolument à la croisée des chemins entre l'échelle stratégique et opérationnelle, le système en est le reflet.
Les règles détaillées relatives aux combats sont accessibles ici : https://strategygamestudio.com/sgs-rules/category/battles/
Les règles communes aux jeux SGS sont accessibles là : https://strategygamestudio.com/sgs-rules/
De manière générale, le jeu se prend en main de manière assez intuitive pour peu que vous soyez un habitué des grands principes du wargame ( lignes de communications, concentration des forces ... )
Bateau tortue et son artillerie
En 1592, lors de la première invasion japonaise, l’amiral coréen Yi Sun-sin remporta une victoire éclatante à la bataille de Hansan en utilisant une formation navale en "grue en vol" , une tactique inédite qui piégea les navires japonais dans une embuscade parfaitement orchestrée.
Cette victoire, obtenue sans perdre un seul navire, permit de rétablir la supériorité navale coréenne à un moment critique de la guerre.
Elle démontra l'efficacité des navires-tortues blindés et du génie stratégique d’un commandant considéré aujourd’hui comme l’un des plus brillants de l’histoire navale.
Une autre anecdote marquante de la guerre d’Imjin touche à la bravoure des civils coréens face à l’envahisseur.
Lors de l’invasion de 1592, alors que les forces régulières étaient en déroute, un moine bouddhiste du nom de Seosan Daesa rassembla une armée de volontaires, composée de paysans, de moines et d’anciens soldats.
Armés de simples armes agricoles ou d’armes récupérées, ces combattants irréguliers menèrent une guerre de guérilla acharnée contre les Japonais, harcelant leurs lignes de ravitaillement, attaquant les garnisons isolées, et renforçant la résistance populaire.
Dans SGS Imjin War, ces forces irrégulières sont modélisées dans le jeu et peuvent jouer un rôle décisif.
Une belle illustration de la résilience d’un peuple et de l’impact stratégique de la guerre asymétrique.
Patrouilles japonaises, raiders coréens, unités de prisonniers enrôlés de force, tribus mandchoues surgissant des lointaines frontières du nord : Imjin War ne se contente pas de représenter les grandes batailles de front, il simule aussi avec finesse la guerre de l’ombre, les opérations de maintien de l’ordre, escarmouches et guérillas qui rythmaient l’arrière du théâtre d’opérations.
Des pions " Leurres " sont également présents pour renforcer le brouillard de guerre.
Chaque région conquise par les Japonais ne constitue pas une possession acquise définitivement, mais une zone instable, soumise à des troubles constants, à des risques d’insurrection ou de passage à l’ennemi.
C’est ici qu’intervient le concept de Loyauté. Ce mécanisme influe directement sur le contrôle réel qu’un joueur japonais peut exercer sur une province.
Plusieurs éléments viennent nourrir ou fragiliser la stabilité régionale : les cartes jouées par les joueurs, les événements aléatoires, la capacité de police des unités laissées en garnison.
Cette dynamique oblige à une gestion fine et continue de l’arrière.
Le joueur japonais ne peut pas se contenter d’avancer : il doit consolider, pacifier.
Ce système renforce l’historicité du jeu.
Il reflète la réalité d’une guerre d’invasion prolongée, où l’ennemi n’est pas seulement sur les routes principales mais aussi dans les forêts, les montagnes, ou dissimulé au cœur même des villes prises.
Seosan Daesa
Dans les notes de conception, l'équipe de développement nous fait part de ses sources bibliographiques, après quelques précautions d'usage.
Les principaux ouvrages occidentaux utilisés sont " Imjin War " de Samuel Hawley ( Canada/Corée ) et " La Guerra Imjin " de Ruben Villamor ( Espagne ) ainsi que des sources en ligne, utilisées avec prudence.
Une recherche rapide sur la toile vous confirmera que les ouvrages et leurs auteurs sont sérieux. C'est un gage de qualité.
SGS Imjin War s’adresse avant tout aux passionnés de wargames historiques à l’échelle opérative et stratégique, curieux de découvrir un conflit méconnu de la fin du XVIe siècle.
Les mécaniques de SGS Imjin War reprennent les fondements propres à la série SGS, avec une structure qui rappelle les jeux de plateau traditionnels. Cette approche saura séduire les joueurs familiers des wargames sur table, grâce à son rythme posé, ses phases bien définies et son système basé sur des cartes événements mêlant aléa et décisions tactiques
Ce titre est également idéal pour ceux qui souhaitent sortir des sentiers battus de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre froide, pour explorer une époque peu traitée dans le jeu de guerre.
Une IA très correcte et un mode multijoueur en PBEM permettent également de prolonger l’expérience.
Que vous ayez l’âme d’un samouraï en quête de conquête ou celle d’un seigneur coréen déterminé à défendre sa terre, SGS Imjin War vous plongera au cœur d’un affrontement, ma foi, fort agréable.
Évaluation du niveau de complexité, si vous souhaitez savoir comment j'ai déterminé ces critères, je vous invite à parcourir la page dédiée au wargaming numérique.
Le Strategy Game Studio, ou SGS, a été fondé par Philippe Thibaut créateur du jeu de plateau Europa Universalis et figure centrale dans le développement de nombreux titres, notamment chez Ageod aux côtés d’autres passionnés et vétérans du wargame.
Le studio s’est appuyé sur la licence du moteur de Wars Across the World (WAW), un jeu numérique dont le code source leur a permis d'accéder à une base fonctionnelle pour modéliser des conflits à l’échelle stratégique et opérationnelle (hors niveau tactique).
Cette base a toutefois été largement remaniée : de nombreux éléments du moteur original ont été redéveloppés en profondeur, et l’interface comme les graphismes ont fait l’objet d’un important travail de refonte.