SGS Spain at War nous plonge dans l’un des conflits les plus violents du XXe siècle : la guerre civile espagnole.
Ce wargame développé par Strategy Game Studio et publié par Avalon Digital ne se contente pas de reconstituer l’affrontement militaire entre les forces républicaines et nationalistes.
Il ambitionne de représenter, dans toute sa brutalité et sa confusion, un choc idéologique aux répercussions historiques majeures.
Le jeu couvre la guerre civile espagnole de juillet 1936 à avril 1939 à l’échelle stratégique, avec une carte divisée en régions et provinces représentant le territoire espagnol, mais aussi les frontières avec la France, le Portugal, Gibraltar et les enclaves coloniales. Chaque tour de jeu correspond à une quinzaine de jours.
L’interface et le moteur SGS, désormais bien rodés, offrent une vue claire des unités, des mouvements, une carte découpée en zones permettant une profondeur de jeu intéressante.
Avant de découvrir plus avant ce dernier jeu SGS, prenons connaissance de son contexte.
La guerre civile espagnole éclate à la suite d’un coup d’État militaire lancé le 17 juillet 1936 contre le gouvernement républicain.
Ce soulèvement n’est pas un acte isolé : il s’inscrit dans un contexte de tensions extrêmes qui déchirent l’Espagne depuis plusieurs années.
Le pays est profondément divisé entre une gauche républicaine, socialiste, communiste et anarchiste, favorable à de profondes réformes sociales et politiques, et une droite monarchiste, catholique et conservatrice, attachée à l’ordre traditionnel.
La victoire du Front populaire aux élections de février 1936, une coalition de partis de gauche, intensifie les clivages.
Les réformes engagées, la redistribution des terres, la laïcisation de l’État, une tentative de rééquilibrer les rapports de force sociaux, inquiètent profondément les élites conservatrices, l’Église et une partie de l’armée.
En parallèle, les violences politiques se multiplient : grèves, attentats, assassinats, exactions commises par les deux camps.
L’assassinat du député monarchiste José Calvo Sotelo, le 13 juillet 1936, par des membres des forces de sécurité républicaines, est perçu par la droite comme un point de non-retour.
Il fournit aux officiers putschistes le prétexte tant attendu pour déclencher le soulèvement militaire, soigneusement préparé depuis plusieurs mois par des généraux comme Mola, Sanjurjo et Franco.
Le soulèvement commence au Maroc espagnol, puis s’étend à la péninsule, mais ne parvient pas à renverser immédiatement le gouvernement.
Le pays se retrouve alors divisé entre zones fidèles à la République et zones tombées aux mains des nationalistes.
Ce coup d’État raté débouche sur une guerre civile totale, opposant deux visions inconciliables de l’Espagne et du monde, dans un affrontement qui allait bientôt devenir le prélude aux grandes convulsions européennes du XXe siècle.
La guerre d’Espagne vue à travers les affiches : https://histoire-image.org/etudes/guerre-espagne-vue-travers-affiches
Affiche républicaine, la gauche espagnole.
Affiche nationaliste, la droite espagnole.
L’une tenue par les nationalistes, regroupant les conservateurs, monarchistes, phalangistes, catholiques et une partie de l’armée, l’autre par les républicains, mêlant républicains modérés, socialistes, communistes, anarchistes et syndicats révolutionnaires.
L’Allemagne nazie et l’Italie fasciste soutiennent les nationalistes avec matériel, aviation et troupes, tandis que l’Union soviétique envoie des conseillers, de l’équipement et des Brigades internationales pour soutenir les républicains. La France et le Royaume-Uni adoptent une politique de non-intervention, bien que des milliers de volontaires de toute l’Europe et des Amériques franchissent la frontière pour combattre dans les rangs républicains.
C’est dans le tumulte de l’hiver 1936 que George Orwell, alors âgé de 33 ans, quitte l’Angleterre pour rejoindre l’Espagne en guerre. Il n’est pas encore l’auteur mondialement connu de 1984 ou de La Ferme des animaux, mais un écrivain engagé, idéaliste, prêt à risquer sa vie pour défendre une révolution sociale en marche.
Refusant l’encadrement rigide du Parti communiste espagnol, il choisit de s’enrôler dans les milices du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste), un groupe marxiste anti-stalinien allié aux anarchistes.
Envoyé sur le front d’Aragon, il découvre une guerre étrange, presque surréaliste, où les combats sont rares, les armes vétustes, et l’organisation militaire quasi inexistante. Mais il y découvre aussi une fraternité sincère, une tentative de vivre la révolution jusque dans les tranchées, où la hiérarchie est abolie, les officiers élus et les salaires égalisés.
Ce rêve égalitaire ne survivra pas longtemps.
Après avoir été blessé d’une balle dans la gorge, Orwell revient à Barcelone, où il assiste avec stupeur à un second front, invisible mais plus pernicieux : celui de la lutte fratricide au sein du camp républicain.
En mai 1937, les communistes pro-soviétiques orchestrent une purge brutale contre le POUM et les anarchistes, accusés de saboter l’effort de guerre.
Orwell et son épouse doivent fuir l’Espagne en secret, pour échapper à l’arrestation. Il comprend alors que l’ennemi ne porte pas toujours l’uniforme d’en face. La trahison, la manipulation de l’information, l’élimination des dissidents de gauche par d’autres forces de gauche, le marqueront profondément.
L’Espagne aura détruit ses illusions politiques, mais renforcé son instinct de vérité.
Dans Hommage à la Catalogne, Orwell livre un témoignage sobre, désenchanté, mais profondément humain. Il y décrit une révolution trahie de l’intérieur, un combat où l’idéalisme se heurte à la mécanique brutale des appareils politiques. Ce qu’il voit en Espagne, ce n’est pas seulement une guerre civile : c’est la préfiguration d’un monde écrasé par les régimes totalitaires, où la réalité est constamment réécrite, où la loyauté vaut moins qu’une ligne de parti. Ses grandes œuvres à venir, 1984 en tête, portent la marque directe de cette expérience fondatrice.
L’Espagne n’a pas seulement tiré une balle dans la gorge d’Orwell : elle a transformé son regard sur le monde, et donné à sa plume une urgence, une clairvoyance, une gravité qui résonnent encore aujourd’hui.
En traversant les tranchées d’Aragon, Orwell n’a pas trouvé la révolution, il y a trouvé la vérité nue, parfois désespérante, d’un siècle qui dévore ses idéaux à force de les brandir comme des bannières.
La guerre civile espagnole a servi de véritable laboratoire pour la Seconde Guerre mondiale, tant sur le plan militaire qu’idéologique.
Les puissances européennes s’y affrontent par procuration.
L’Allemagne nazie teste ses avions de la Légion Condor en bombardant Guernica, tandis que l’Italie fasciste déploie ses troupes terrestres aux côtés de Franco.
C’est dans ce conflit que s’expérimentent les premières campagnes de bombardement aérien massif contre des civils, l’usage combiné des blindés et de l’aviation, les techniques modernes de propagande et de guerre psychologique.
De leur côté, les Soviétiques envoient des conseillers et imposent leur ligne politique au camp républicain, noyautant peu à peu les structures révolutionnaires.
Les Français jouent un rôle discret mais notable dans les airs aux côtés des Républicains, notamment au sein de l’escadrille España, une unité aérienne composée majoritairement de volontaires français et italiens.
Créée en 1936, cette escadrille fait partie intégrante des Forces aériennes de la République espagnole.
Elle est organisée et dirigée par André Malraux, écrivain engagé devenu chef d’escadrille par conviction antifasciste.
Engagée dans plusieurs missions de bombardement et de soutien tactique, l’unité devient rapidement un symbole de l’engagement international contre le franquisme.
Elle sera rebaptisée Escadrille André-Malraux en hommage à son fondateur.
L’escadrille opère principalement jusqu’en 1937, avant d’être dissoute dans le contexte d’une réorganisation plus large des forces aériennes républicaines.
Plus profondément encore, l’Espagne devient le terrain d’un affrontement idéologique entre fascisme, démocratie libérale vacillante, et révolutions communistes, annonçant la polarisation qui dominera l’Europe jusqu’en 1945.
Aujourd'hui on parlerait de guerre via proxys.
A ma gauche : Guernica, je vous invite à jeter un oeil ici : https://histoire-image.org/etudes/guernica
Après ces éléments de contexte que je considère essentiels, voire indispensables pour apprécier pleinement l’historicité de SGS Spain at War, tournons-nous à présent vers ce wargame ambitieux.
Le jeu couvre l’ensemble du conflit, depuis les premiers jours du soulèvement nationaliste le 18 juillet 1936 jusqu’à la chute finale de la République, en adoptant un système de tours hebdomadaires qui restitue le tempo lent et tendu de cette guerre d’usure.
Le joueur nationaliste doit mobiliser et faire débarquer dans la péninsule les redoutables forces de l’armée d’Afrique, des troupes d’élite, et s’emparer des villes stratégiques pour briser la résistance républicaine. À l’inverse, le joueur républicain doit contenir l’offensive initiale, organiser dans l’urgence une défense hétéroclite, puis bâtir progressivement une armée populaire capable de faire face à la machine militaire adverse, en particulier aux unités aguerries et disciplinées issues des troupes coloniales.
SGS Spain at War impressionne par le degré de détail et de rigueur historique qu’il propose. Chaque formation militaire ayant pris part au conflit y est représentée : les milices falangistes et carlistes, les unités complètes de l’armée d’Afrique, les colonnes anarchistes et marxistes, les escadrons aériens italiens avec leurs noms, insignes et appareils historiques, toute la flotte des deux camps, les brigades internationales, sans oublier les unités spécifiques des régions autonomes ,basques, asturiennes, catalanes.
Les chars soviétiques T-26, les avions Chato (I-15) et Mosca (I-16), les bombardiers allemands et les chasseurs Bf109 de la Légion Condor viennent compléter un ordre de bataille d’une richesse rarement atteinte dans un jeu sur cette période.
La gestion des ressources est un aspect central du gameplay : les joueurs doivent arbitrer entre la production de nouvelles unités, le renforcement de celles déjà engagées, et le remplacement de pertes souvent irréparables, comme les navires de guerre ou les forces d’élite, irrécupérables une fois anéanties. Les cartes d’événements, habilement intégrées au système, apportent une dimension stratégique et narrative. Elles modifient les équilibres dans de nombreux domaines : production, soutien populaire, politique intérieure, diplomatie, livraisons d’armes, et bien entendu, les conditions de combat elles-mêmes.
L’immersion est renforcée par l’apparition d’événements historiques soigneusement choisis, qui donnent du « chrome », ce supplément d’âme recherché par tout wargamer passionné, et permettent de ressentir la tension, la complexité et l’ambiguïté de ce conflit. Rien n’est oublié : les divisions internes du camp républicain, les rivalités idéologiques, les interventions étrangères, la propagande, les purges, et le poids du moral sur le champ de bataille.
Le développement de SGS Spain at War a bénéficié de l’expertise reconnue de Miguel Santacruz, déjà concepteur de España:1936 (chez AGEOD) et de Battles for Spain.
Son travail de recherche rigoureux, appuyé sur une riche bibliographie et une documentation précise, a permis de donner à ce jeu une profondeur historique, sans sacrifier la jouabilité.
Le résultat est un wargame exigeant, immersif, et fidèle à l’histoire, qui rend un vibrant hommage à l’un des conflits les plus tragiques et révélateurs du XXe siècle.
La grande campagne de 150 tours vous emmènera sur une centaine d'heures de jeu, celle, uchronique en 27 tours, une trentaine. Le tout est jouable en solitaire ou à deux joueurs, en pbem à l'ancienne, il conviendra donc de vous envoyer les sauvegardes via mail, puis de les intégrer dans le répertoire de sauvegarde du jeu avant de jouer votre tour, le jeu est stable et bénéficiera d'un suivi sérieux effectué par le développeur.
Ils participent à l'immersion dans la période.
Ces deux unités illustrent parfaitement la diversité des forces engagées dans SGS Spain at War et reflètent l’hétérogénéité du conflit espagnol, où se côtoyaient technologies modernes et vestiges militaires du XIXe siècle.
Le jeu restitue toute la variété des moyens militaires en présence, où des milices mal équipées, des unités professionnelles aguerries, des escadrilles internationales ou des cavaliers traditionnels se livrent bataille dans un affrontement asymétrique.
Phase initiale de la guerre où les nationalistes cherchent à consolider leurs bastions du nord pour lancer ensuite leurs offensives vers le centre républicain.
Fixées en début de partie, elles vont gagner en nombre et en mobilité.
Chaque tour rend possible l'obtention de nouvelles cartes, celles ci rendant possible des évènements politiques ou militaires, attention, elles peuvent avoir un coût en points de victoire.
La grande histoire va influer sur le conflit. L'historicité est au rendez-vous.
SGS Spain at War s’adresse avant tout aux passionnés d’histoire militaire, et plus particulièrement à ceux que la guerre civile espagnole fascine par sa complexité politique, sa dimension internationale et ses enjeux humains.
Le jeu séduira les amateurs de wargames qui apprécient la rigueur historique, la richesse des ordres de bataille, et la nécessité de planifier à long terme dans un contexte de ressources limitées et d’incertitudes constantes.
Il conviendra à ceux qui aiment les jeux de stratégie à l’échelle opérative, où la décision militaire se partage avec la politique.
Le jeu s’adresse également à ceux qui cherchent une immersion profonde dans un conflit souvent méconnu ou réduit à quelques clichés.
Grâce à la richesse de ses événements, de ses unités et de son contexte, il offre une véritable plongée dans les arcanes de cette guerre, tout en restant accessible aux joueurs familiers du système SGS.
Les curieux d’histoire contemporaine, les enseignants ou les étudiants pourront aussi y trouver un support stimulant, tant le jeu parvient à conjuguer pédagogie et intensité stratégique.
Enfin, les joueurs à la recherche d’un défi asymétrique trouveront ici deux camps aux mécaniques très différentes, appelant des approches contrastées et un vrai sens de l’adaptation.
Évaluation du niveau de complexité, si vous souhaitez savoir comment j'ai déterminé ces critères, je vous invite à parcourir la page dédiée au wargaming numérique.
Le Strategy Game Studio, ou SGS, a été fondé par Philippe Thibaut créateur du jeu de plateau Europa Universalis et figure centrale dans le développement de nombreux titres, notamment chez Ageod aux côtés d’autres passionnés et vétérans du wargame.
Le studio s’est appuyé sur la licence du moteur de Wars Across the World (WAW), un jeu numérique dont le code source leur a permis d'accéder à une base fonctionnelle pour modéliser des conflits à l’échelle stratégique et opérationnelle (hors niveau tactique).
Cette base a toutefois été largement remaniée : de nombreux éléments du moteur original ont été redéveloppés en profondeur, et l’interface comme les graphismes ont fait l’objet d’un important travail de refonte.