Le visionnage de la vidéo de Histony sur le thème des causes de la première guerre mondiale appelle une cogitation de ma part !
Le sujet est vaste et me tient à cœur.
Si je suis en accord avec l'essentiel de son propos, il me semble néanmoins qu'il écarte d'un revers de la main le principal facteur de déclenchement du conflit.
Ou plutôt des conflits, car à mon sens la première guerre mondiale est la conjonction de conflits localisés ayant chacun leur causalité, conflits qui s'inscrivent dans un contexte mondialisé.
« Les causes de la première guerre mondiale » sont donc multiples et multi-factorielles.
Mais intéressons nous à celles qui ont provoqué le conflit entre la France et son voisin germanique.
Voici la vidéo en question et le lien de la chaine : https://www.youtube.com/@Histony
De mon point de vue, il n'est pas possible de présenter les causes de la première guerre mondiale de manière synthétique sans tenir compte de celles qui ont provoquées la guerre franco-prussienne de 1870, en effet les causes de la guerre qui opposa la France à l'Allemagne en 1914 sont à chercher dans la période 1870-1913 , je vous propose une cogitation en 6 paragraphes courts et argumentés.
Je me lance à l'appui de mes lectures et en particulier de cet ouvrage :
La France a officiellement déclaré la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870, mais Bismarck a délibérément provoqué cette déclaration, nous le verrons plus loin.
I ) La Prusse prend une trajectoire de puissance plus rapide que la France.
A partir de 1850, la Prusse (et plus largement l’Allemagne du Nord) connaît une industrialisation très rapide avec une exploitation intensive de la Ruhr et de la Silésie, un essor des chemins de fer (outil clé de mobilisation militaire) , une sidérurgie modernisée et centralisée (Krupp à Essen) et un réseau bancaire intégré (banques universelles comme la Deutsche Bank)
La France, malgré le dynamisme du Second Empire a une économie dispersée, moins mécanisée, beaucoup plus dépendante des manufactures textiles.
Cette asymétrie nourrit chez Napoléon III la crainte d’un déséquilibre stratégique durable, surtout après la victoire prussienne contre l’Autriche en 1866, le décalage industriel est croissant entre la France et la Prusse, en cette période préalable à la seconde révolution industrielle.
Avant 1870, la France tente d’étendre son influence économique vers la Belgique et le Luxembourg.
Mais le Zollverein prussien (union douanière allemande créée en 1834) marginalise l’influence française en Europe centrale.
La crise du Luxembourg , qui suivra plus tard, (1867) a un aspect commercial : le contrôle des chemins de fer et du transit vers la Ruhr.
L’expansion du Zollverein est vécue à Paris comme un instrument de domination économique prussienne, prélude à une hégémonie politique .
Le Second Empire, après les dépenses de modernisation et de prestige (Suez, grands travaux, interventions au Mexique), est endetté et dépend d’un équilibre budgétaire fragile.
Une guerre rapide et victorieuse pouvait paraître comme étant un moyen de relégitimer le régime et de rellancer la croissance par le prestige, de saisir la saare et ses ressources.
D'autre par cela serait ainsi venu freiner l'expension industrielle germanique en la privant de ressources, et ainsi créant une dépendance, si la France devait réussir à contrôler celles ci.
Ce calcul politico-économique s’est avéré désastreux.
La Prusse contrôle les principales régions charbonnières d’Europe continentale (Ruhr, Saare).
La France, au contraire, dépend d’importations, notamment de la Sarre (déjà convoitée).
Ce déséquilibre énergétique renforce la perception française d’une vulnérabilité stratégique.
Après 1871, l’annexion de l’Alsace-Lorraine aura aussi une dimension économique ( but de guerre ) , l’Alsace fournit du textile,
La Moselle possède des gisements de fer de première qualité (prolongement du bassin lorrain, but de guerre )
V) Les causes de la guerre : les buts de guerre, en d'autres temps, le butin
A mon sens le principal but de guerre pour l'Allemagne reste la Moselle et son bassin sidérurgique.
L'Alsace pour des raisons territoriales et motivées par une proximité linguistique, par un gain de ressource démographique, et à la marge la saisie d'un outil textile.
Le but de guerre de la France étant la Saare, comme évoqué plus haut.
La guerre franco-prussienne n’est pas causée par un seul facteur : elle résulte d’une rivalité structurelle franco-prussienne née de l’unification allemande et d’un isolement diplomatique français, motivés par la captation des ressources sidérurgiques et énergétiques et ce pour chacun des protagonistes.
Napoléon III espérait une victoire rapide pour saisir la Sarre et ses ressources minières.
Bismarck espérait une guerre pour saisir la Moselle et ses ressources sidérurgiques.
Je ne développerai pas la thèse selon laquelle la Prusse a consolidé l'unification de l'Empire Allemand voulu par Bismarck grâce à une guerre face à la France.
De mon point de vue l'Allemagne a rendu inévitable le conflit via l'accélération industrielle et économique de son nouvel état, en empêchant la France de se développer économiquement à l'échelle continentale, Bismarck a également crée un outil militaire solide et ne cessait de le développer.
Il a donc provoqué la France tout en la poussant à la faute diplomatique, il soutient la candidature du prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen au trône d’Espagne, sachant que Paris s’y opposera.
Quand la France exige des “garanties éternelles” que cette candidature ne sera plus jamais relancée, il transforme la dépêche du roi Guillaume à Ems en un texte volontairement humiliant pour la France.
L’a dépêche d'EMS, publié le 13 juillet 1870, rend inévitable la guerre aux yeux de l’opinion française.
Pour aller plus loin : https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/la-depeche-dems-piege-rhetorique-pour-declaration-de-guerre/
Napoléon III a donc réagit aux provocations allemandes en déclarant la guerre, but de guerre, saisir le charbon sarrois, combattre le prussien avant qu'il ne puisse plus être défait du fait de la montée en puissance de son armée, vecteur d'unification.
Frapper le premier ou subir le déclassement et prendre le risque d être frappé par un nouvel empire en passe de devenir la puissance militaire et économique le plus prégnante sur le continent européen.
A posteriori, Napoléon III tombe dans un piège, les allemands étaient déjà prêts.
Napoléon III et Bismarck , un partage inégal.
VI ) On a perdu ! Et selon moi , les causes de la première guerre mondiale prennent leurs racines dans cette défaite.
La défaite française entraîne d’abord la naissance d’un nouvel acteur : l’Empire allemand, proclamé le 18 janvier 1871 dans la Galerie des Glaces à Versailles.
Ce geste symbolique scelle l’humiliation française et consacre la puissance prussienne.
Désormais, une Allemagne unifiée, industrielle et militaire domine le centre de l’Europe.
Sa supériorité économique, sa discipline militaire et son sentiment de mission nationale bouleversent l’équilibre issu du Congrès de Vienne.
La France, amputée de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, perd sa place de première puissance continentale.
De cette blessure naît un sentiment profond de revanche.
L’idée de reconquérir l’Alsace-Lorraine s’enracine dans la société française, entretenue par les manuels scolaires, la presse et l’armée, un roman National , patriotique va émerger.
Les générations formées après 1871 grandissent dans le souvenir de la défaite, convaincues que l’honneur national exige réparation.
Le culte de la revanche devient un ciment politique et moral, présent jusque dans la culture et l’enseignement.
Cette passion latente transformera la crise de 1914 en un affrontement inévitable dès lors qu’une occasion se présentera.
En Allemagne, la victoire forge un nationalisme triomphant.
L’armée devient la colonne vertébrale du Reich et le modèle de la société.
Le militarisme, légitimé par le souvenir de 1870, pénètre les institutions et l’éducation.
L’empereur Guillaume II, héritier de ce prestige, en tirera une conception agressive de la puissance, fondée sur la force et la compétition impériale.
La logique du sabre, exaltée depuis la victoire contre la France, imprègne la diplomatie du Reich tout au long de la fin du siècle.
Sur le plan diplomatique, Bismarck construit un système d’alliances destiné à isoler la France et à préserver la suprématie allemande.
Par une succession de traités, il lie la Prusse à l’Autriche-Hongrie, à la Russie puis à l’Italie, formant un réseau de sécurité autour du nouvel Empire.
La France, humiliée et isolée, cherchera à rompre cette solitude.
Elle se tourne vers la Russie à la fin du siècle, puis vers le Royaume-Uni. De ces rapprochements naît la Triple Entente, miroir exact de la Triple Alliance allemande.
Deux blocs s’affrontent désormais en Europe, héritiers directs du déséquilibre créé par la guerre de 1870.
Les armées, elles aussi, portent la trace du conflit précédent.
L’état-major allemand, fort de l’héritage prussien, élabore le plan Schlieffen pour frapper vite et fort, persuadé de la supériorité de sa mobilisation.
La France, hantée par la passivité de 1870, adopte une doctrine de l’offensive à outrance, espérant que l’audace compensera le retard stratégique. Les deux doctrines, issues de la même guerre, s’affronteront en août 1914.
Même si cela ne relève pas des “causes”, il faut noter que l’indemnité de guerre de 5 milliards de francs or imposée à la France en 1871 sera un choc économique majeur mais aussi un levier de modernisation pour la France post guerre (hausse de la productivité, industrialisation accélérée), tandis qu’elle financera l’essor industriel allemand et la consolidation de l’Empire.
Je vous conseille au passage un ouvrage excellent et synthétique !
La grande Guerre , André Loez
https://www.editionsladecouverte.fr/la_grande_guerre-9782707182074
La Première Guerre mondiale n’est pas une rupture : elle est le second acte d’un drame né d'un conflit de captation de ressources rendu possible par des tensions diplomatiques, cette guerre était écrite.
Il est n'est pas aisé de prévoir le destin des nations, mais certaines données chiffrées permettent de percevoir des trajectoires.
L'augmentation constante des budgets militaires depuis 1904 à 1913 est éloquent, l'accélération est considérable pour l'Allemagne à compter de 1913, la France est à la traine et réagit en 1914.
Source :
The Arming of Europe and the Making of the First World War David G. Herrmann
VI ) Venons en à l'essentiel, la cause de la plupart des guerres depuis l'ère industrielle et souvent , avant aussi en fait !
La captation de ressources induite par le progrès technologique
La seconde révolution industrielle (1870-1914) apparaît, selon moi, comme la cause déterminante de la Première Guerre mondiale.
L'ère industrielle est un moment de développement rapide des sociétés occidentales, la technologie induit un besoin de ressources plus importantes pour des empires en compétition.
Du fer, du charbon afin de produire l'acier, pré requis à la conception de machines outils pour accélérer la mécanisation de l'économie et la modernisation des armées.
Ou trouver ces ressources ?
Là ou elles se trouvent.
Je pose ici un lien qui rend compte des volumes de fer importés par l'Allemagne d'alors, source initiale :
Exports from Statistical Report Iron Steel & Allied Trades Federation July 1917
https://the-bay-museum.co.uk/2017/12/14/germanys-iron-industry-and-the-war-14-december-1917/
Cela permet de localiser les ressources dont l'Allemagne avait besoin pour accélérer la mécanisation de son outil industriel et de ses armées, à compter de 1870 ( voir table 1 – Iron Ore et table 3 et 4 , pour ceux qui connaissent la Lorraine;) ).
La Lorraine et son fer de qualité , ses bassins miniers et sidérurgiques sont les enjeux stratégiques de la guerre de 1870 ( annexés par l'Allemagne ), que légitimement la France cherche à récupérer en 1914.
A noter que 2/3 de l'acier produit par l’Allemagne en 14-18 a été produit à l'appui du fer mosellan. Sans la Moselle sous contrôle allemand, Krupp n'aurait pas eu autant de canons à offrir à Bismarck.
Les causes de la guerre sont à mon sens multi factorielles, les situations géopolitiques sont complexes, mais personne ne me fera croire que des états envoient au combat et potentiellement à la mort des centaines de milliers, voire des millions d'hommes, uniquement pour des raisons linguistiques, nationalistes, des valeurs, des questions identitaires.
Les révolutions industrielles et technologiques génèrent de nouveaux besoins et des enjeux macro économiques sous tendent toute action militaire.
Concernant les événements déclencheurs, Sarajevo, l'assassinat de Jean Jaures, les pressions nationalistes , les déstabilisations etc, cela eu un impact certain, c'est l'allumette, mais le baril se remplissait de poudre bien avant.
L'Allemagne construisait un outil militaire pour asseoir sa domination économique et industrielle au détriment de la France, en 1914 la France cherche à récupérer l'Alsace Moselle et l'Allemagne à capter de nouvelles ressources, plus au Nord, les bassins charbonniers du Nord et du Pas de Calais tenus par la France, lui échappent encore.
C'est à mon sens un élément qui a induit la stratégie allemande de course à la mer, au delà de la tentative de débordement des armées françaises.
C'était cette vulnérabilité stratégique qui a conduit les états majors germaniques à orienter leur action, espérant une nouvelle réédition française et une nouvelle amputation territoriale, déclassant définitivement la France.
Heureusement, on a gagné ! ( mais à quel prix )
Je n'évoque pas de manière détaillée, à dessein, le thème ouvert par Histony qui écarte également d'autorité, toute analogie entre les causes de la première guerre mondiale et celles qui sous tendraient le conflit Ukrainien.
Quelques pistes de réflexions, vite fait quand même, pas encore explorées, mais qui le seront certainement.
Captation de ressources via un accord économique, s'affranchir d'une dépendance énergétique dans un contexte de mutation technologique et énergétique pour l'un des acteurs et ses soutiens.
Pour l'autre, captation de ressources via des moyens militaires, maintenir une dépendance énergétique envers ses clients en contrariant leur stratégie de transition énergétique afin de conserver un afflux de devises permettant de soutenir une économie ultra dépendante des exports pétrole et gaz.
Ressources humaines et démographiques contestées, infrastructures nucléaires contestées.
Contestation des lignes commerciales céréalières vis à vis de pays en voie de développement, potentiellement vecteurs d’instabilité.
Terres rares ( improprement nommées ) , explosion des valeurs du marché mondial des métaux terrestres rares ( doublé entre 2023 et 2030 ).
Analogie causalité ww1, partielles, généralisation du conflit possible par paliers si nouvel engagement terrestre avant que ne soit trouvé un armistice entre les belligérants actuels.
Les équilibres économiques qui vont se trouver, ou pas, peuvent conditionner de nouveaux conflits ( ouverts par l'un ou l'autre des acteurs, via proxys, ou directement ), ou mettre fin à celui en cours.
Sphère d'influence. Mise en pause du green deal.
https://reporterre.net/Un-enjeu-cache-de-la-guerre-en-Ukraine-les-matieres-premieres